Qu’est-il arrivé à Théo ?

Théodore, qui sera appelé « Théo » dans cette affaire, est l’une des personnes contrôlées par des policiers le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois. Autant dire que ce contrôle va dégénérer : comme en attestent les images de vidéosurveillance mises en ligne en janvier, le jeune homme, plaqué contre un mur par deux policiers, se fait frapper par ceux-ci. L’un d’eux porte alors un coup de bâton télescopique : ce coup provoquera une déchirure de 10 cm et une perforation du colon. Théo s’effondre de douleur et subira une hospitalisation et une ITT de 60 jours.

Voila les faits. Mais que dit le droit ? Quelle(s) infraction(s) pourraient être caractérisées en l’espèce ? Surtout… Théo a-t-il été victime d’un viol ?

  • Le viol

C’est la qualification qui fut initialement choisie. Contestée par les nouveaux éléments apportés par les récentes expertises, plusieurs éléments permettaient toutefois de douter de cette qualification dès le départ.

Le viol est défini comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » (article 222-23 du Code pénal). Pour que cette infraction soit caractérisée, il convient donc de retenir à la fois une pénétration sexuelle mais également l’intention coupable c’est-à-dire « la conscience chez l’agent d’imposer à la victime un acte de pénétration sexuelle auquel elle ne consent pas » (J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit., n° 759, p. 450).

Il faut donc bien une connotation sexuelle derrière l’acte de pénétration.

Pourquoi dès lors douter de la qualification initialement retenue ? Tout d’abord, l’une des expertises réfute la thèse selon laquelle la matraque télescopique aurait pénétré l’anus du jeune homme. Selon cette même expertise, la matraque dont s’agit n’aurait en fait jamais atteint l’anus, mais aurait frappé le sphincter, c’est-à-dire, en fait, la zone péri-anale.

Cette analyse ne met toutefois pas un terme à tout doute : la déchirure est constatée et, elle est conséquente. C’est la connotation sexuelle de la pénétration qui en est à l’origine qui fait débat, et c’est là-dessus que tablera la défense du policier auteur du coup : la zone pénétrée ne serait pas une région à caractère sexuel.

En outre, les doutes sont également permis quant à l’élément moral de l’infraction. Si finalement la juge d’instruction conclue au caractère sexuel de la pénétration – qualifiant ainsi l’élément matériel du viol – encore faut-il que le policier ait eu l’intention de violer Théo, de porter atteinte à la liberté sexuelle de ce dernier. C’est encore la connotation sexuelle de la pénétration qui permettra de considérer ou non qu’un viol a été commis. C’est l’intention du policier qui est centrale dans ce dossier.

Si la qualification de viol n’est pas retenue, cela ne signifiera pas pour autant qu’aucune infraction n’a été commise.

  • Les tortures et actes de barbarie

Une qualification alternative pourrait être également retenue, sans pour autant, revoir à la baisse le quantum de la peine prévu par l’infraction de viol.

L’article 221-1 du Code pénal réprime en effet les tortures et actes de barbarie :

« Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle ».

Les tortures et actes de barbarie doivent s’entendre d’actes de violences dépassant le cadre de la « simple » violence résultant d’un ou plusieurs actes d’une gravité exceptionnelle occasionnant à la victime une douleur et une souffrance insupportable.

Les exemples tirés de l’élément matériel de cette infraction donnent un aperçu de ce que peuvent être ces actes d’une exceptionnelle gravité dépassant même le cadre de la violence.

La Cour d’appel de Nîmes, encore tout récemment, a eu à connaître le 10 mars 2016 d’une affaire dans laquelle la question des tortures ou actes de barbarie se posait pour des faits où une victime a eu à subir : « l’apposition de pinces sur les seins et les parties génitales, l’écoulement de cire sur celles-ci et leur frottement avec des orties. En outre, elle a été attachée à un radiateur avec introduction d’objets dans la bouche ».

Outre l’élément matériel d’une particulière gravité, l’élément moral de l’infraction suppose qu’il y ait une atteinte à la dignité de la personne humaine. Doit donc être recherché ici, bien plus que la simple atteinte à l’intégrité physique de la victime. L’acte doit viser à soumettre la victime dans son esprit comme dans sa chair, imposant une logique d’asservissement et de domination. En somme, il s’agit, in fine, de « denier à la victime son appartenance à la communauté humaine » (E. Dreyer, Droit pénal spécial : Ellipses, 3e éd., 2016, n° 377).

C’est ici donc, qu’intervient la notion d’atteinte à la dignité de la personne humaine nécessaire pour caractériser l’élément moral de l’infraction. Bien que l’article du code pénal n’en fasse pas mention, on retrouve cette notion de manière récurrente dans la jurisprudence. Ainsi, La Cour de cassation a eu à juger que les actes de tortures ou les actes de barbarie « constituait une négation de la dignité humaine » (Crim, 16 novembre 2004) ; ou qu’ils « manifestaient la volonté de nier dans la victime la dignité de la personne humaine » (Crim, 10 janvier 2006).

Concernant l’affaire Théo, il semble compliqué également, tout comme pour l’infraction de viol, à la simple lumière des éléments dont nous avons connaissance, de retenir l’infraction de tortures ou d’actes de barbarie, que cela soit en son élément matériel ou en son élément moral. L’acte, certes d’une particulière violence – notamment au vue des ITT subies – ne semble ni être d’une exceptionnelle violence ni avoir été fait dans le but d’attenter à la dignité de la personne humaine de Théo ou dans une volonté de lui nier sa qualité d’être humain.

Reste alors, une dernière infraction…

  • Les violences

L’infraction de violences est prévue par les articles 222-7 et suivants du Code pénal. Tombe ainsi, notamment, sous le coup de cette infraction, tous les actes entrainant un contact entre un agresseur et sa victime. Par ces actes, doit être recherché la volonté d’attenter à l’intégrité physique de la personne faisant l’objet des violences.

Par ailleurs, l’élément moral ne nécessite que la volonté de causer des actes de violences, sans considération aucune sur l’étendue du résultat et le dommage effectivement subi par la victime. Pour reprendre la formulation de la Cour de cassation : « L’infraction se trouve constituée dès lors qu’il existe un acte volontaire de violence ou une voie de fait, dirigée contre une ou plusieurs personnes quel que soit le mobile qui l’a inspiré, et alors même que son auteur n’a pas voulu causer le dommage qui en est résulté ».

Si les violences peuvent être psychologiques, nous ne nous intéresserons ici, dans le cadre de l’affaire Théo, qu’aux violences physiques. Résultera de cette violence physique, une ITT qui déterminera l’article précisément applicable.

Théo, après s’être effondré de douleur, a subi une hospitalisation et une ITT de 60 jours. L’ITT étant supérieure à 8 jours, c’est l’article 221-11 du Code pénal qui s’applique :

« Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende »

Il y a bien ici, un acte de violence ayant conduit directement à l’hospitalisation de Théo et ayant causé directement une ITT supérieure à 8 jours. Par ailleurs, la volonté de l’auteur de porter atteinte à son intégrité physique – donc l’élément intentionnel de l’infraction – ne semble pas pouvoir être remise en cause.

Néanmoins, au-delà de la peine initialement prévue, doivent être également ajoutées à cela, les différentes circonstances aggravantes de l’espèce.

En effet, l’article 221-12 du Code pénal prévoit une peine de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende dans trois cas, notamment :

Le point 7 prévoit une circonstance aggravante lorsque les violences sont commises « Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ».

Le point 8 quant à lui prévoit une circonstance aggravante quand elles sont commises : « Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ».

Enfin, le point 10 le prévoit une autre circonstance aggravante, quand la violence est commise : « Avec usage d’une arme ».

En conséquence, il semblerait que ces trois circonstances aggravantes puissent être retenues portant ainsi la peine initialement prévue à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

Finalement, plus d’un an après les faits, il est toujours aussi difficile d’apporter un éclairage juridique tant les faits commis laissent place à interprétation. Mais, n’oublions pas un principe essentiel : la loi pénale est d’interprétation stricte… 

Par Samantha Moravy et Ibrahim Shalabi.

4 réflexions au sujet de « Qu’est-il arrivé à Théo ? »

  1. Merci pour votre article. Quid du fait justificatif tiré de l’autorisation de la loi, 122-4, al. 1er, C. proc. pén. et fondée sur l’article 73 du même code?

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    1. Bonjour, merci pour votre commentaire.

      Effectivement, le fait justificatif que vous évoquez peut trouver à s’appliquer en l’espèce.
      Néanmoins, nous avons pris le parti de ne traiter que les infractions pouvant elles aussi s’appliquer.
      C’est un manque d’exhaustivité volontaire et justifié, notamment, par des objectifs de clarté et de concision.

      Bien à vous,
      L’équipe de Vox Criminis.

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  2. Bonjour et merci pour ce travail d’analyse.

    Cette histoire est très complexe à juger. Déjà, le travail que vs avez fait sur les éléments matériels et légaux montre la partie visible de cette complexité.

    Mais, comment peut on établir les intentions des acteurs qui ont agi dans « le feu de l’action »? La cristallisation et le processus d’effacement ont substitué à la réalité une représentation de celle-ci que l’on va juger .

    Cordialement

    R GINEYS

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