Le féminicide, une incrimination ni nécessaire, ni souhaitable

Si l’Affaire Daval remue la presse en raison des écarts de l’avocat de la défense, le fait que la victime soit une femme relance aussi le débat sur les violences sexistes. C’est la raison pour laquelle la question de savoir si ce meurtre pouvait être qualifié de féminicide s’est posée.

Dans cette affaire, Jonathann Daval aurait (et nous insisterons sur le conditionnel – la présomption d’innocence prévaut jusqu’à ce qu’un débat contradictoire nous éclaire sur la vérité) tué sa femme Alexia.

Mais l’a-t-il tuée parce qu’elle était une femme ou parce qu’elle était sa femme ?

Et oui, c’est bien là que se situe la différence entre le féminicide et le meurtre conjugal. Le meurtre conjugal se définit comme le fait de donner volontairement la mort à son conjoint, son concubin, ou son partenaire pacsé. L’article 221-4 9° du Code pénal le punit de la réclusion criminelle à perpétuité. En effet, le meurtre conjugal est un meurtre aggravé, il encourt donc la peine la plus lourde qu’il soit.

Le féminicide se définit comme le fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme. Il relève donc de la catégorie des violences sexistes. Il y a donc bien une distinction à opérer ! Tous les féminicides ne sont pas des meurtres conjugaux, et les meurtres conjugaux ne sont pas tous des féminicides, lesquels ne sont pour le moment pas incriminés en droit pénal français.

Certes, dans l’hypothèse qui est la nôtre, la victime est une femme, mais ce n’est pas forcément ce mobile qui pousse un conjoint à passer à l’acte. Si souvent, les meurtres conjugaux sont qualifiés parfois de « crimes passionnels », c’est parce que l’auteur du meurtre perd la raison et la maitrise de la relation conjugale, au point que tuer sa conjointe semble être pour lui le seul moyen de la « garder ».

On ressent déjà la nuance : le mobile n’est pas sexiste dans ces cas, il est d’ordre passionnel, sentimental, et nait dans le cadre de relations d’emprise, pas sexiste.

Distinction faite, il convient de s’interroger sur les conséquences d’une possible introduction du féminicide dans notre code pénal, et donc les raisons pour lesquelles une telle incrimination n’est ni nécessaire, ni souhaitable.

  • Pénaliser pour désigner

Pour commencer, insérer la notion de « féminicide » dans le code pénal consisterait à rompre avec la technique législative adoptée depuis l’entrée en vigueur du code pénal en 1994, à savoir ne plus désigner une infraction en fonction de la victime (c’est la raison pour laquelle les termes de « parricide » et d’ « infanticide » ont été supprimés).

Ensuite, introduire le terme de « féminicide » dans le code pénal consisterait à appliquer une théorie selon laquelle le terme « homicide » ne signifierait pas « tuer un être humain » mais « tuer un homme ». Il faudrait par conséquent un terme égal pour décrire le fait de tuer une femme. Mais en France, le terme « homicide » est utilisé pour désigner les cas dans lesquels la mort de la victime n’était pas recherchée par l’auteur. Pas les cas de meurtre où, en l’espèce, le sexe de la victime importe pour le mobile. Dans l’homicide involontaire, l’auteur ne poursuit pas un mobile meurtrier, encore moins un mobile sexiste. Or dans le féminicide, c’est cette motivation sexiste qui est centrale. Par conséquent, on ne peut appeler féminicide ce qu’on appelle actuellement « homicide » puisque les termes recouvrent des situations totalement opposées.

Dans la Convention d’Istanbul du 12 avril 2011, la violence faite aux femmes est appréhendée comme étant la traduction d’une discrimination évidente à l’égard des femmes. Par conséquent, la lutte contre ces discriminations impliquerait une reconnaissance législative. Mais cet « effet déclaratif » aura-t-il réellement des effets pratiques ? Pour comparaison, on se demande encore quels changements a opéré la réforme consistant à dire que les animaux sont des êtres doués de sensibilité…

Qui plus est, ce serait discriminer encore plus les femmes que de procéder à une telle réforme. Dire que les femmes sont plus faibles et méritent plus de protection que les hommes ? Dire que tuer une femme est plus grave que tuer un homme ? N’est-ce pas du « sexisme inversé » ? Alors même que l’objectif poursuivi est celui de l’égalité… Cette thèse est confirmée par l’avis rendu par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme le 7 juin 2016, selon lequel il serait contraire au principe d’égalité de créer une infraction différente et sexuée. Si ce principe d’égalité n’interdit pas de traiter différemment les personnes lorsqu’elles sont placées dans des situations différentes, encore faudrait-il démontrer en quoi tuer une femme est plus grave que tuer un homme. La vraie valeur sociale protégée derrière l’incrimination du meurtre est simplement la vie…

Seule solution pour la CNCDH : créer une circonstance aggravante.

  • Pénaliser pour sanctionner

Le but réel derrière l’introduction du terme « féminicide » dans notre code pénal ne serait pas de constater un fait social puisque la loi pénale n’a pas un objet déclaratif. La loi pénale a bien pour objet de définir des comportements répréhensibles afin de les sanctionner spécifiquement. Par conséquent, introduire la notion de « féminicide » aurait pour objet de réprimer plus sévèrement le meurtre lorsque sa victime est une femme, et qu’elle a été tuée pour cette raison.

Or, le meurtre étant actuellement puni de 30 ans de réclusion criminelle (article 221-1 CP), la seule aggravation possible est la réclusion criminelle à perpétuité. Autrement dit, tuer une femme parce qu’elle est une femme serait puni de la réclusion criminelle à perpétuité, à l’instar du meurtre conjugal.

Il n’y aurait donc, dans ces cas, aucun intérêt de distinguer le féminicide du meurtre conjugal pour déterminer la peine applicable.

Mais quid des cas où la femme victime n’est pas la conjointe/concubine/partenaire de l’auteur ? A l’heure actuelle, l’article 221-4 CP ne prévoit pas le cas du meurtre à mobile sexiste. Néanmoins, l’article 132-77 lui prévoit une aggravation dans ces hypothèses :

« Lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé ainsi qu’il suit :

1° Il est porté à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l’infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle ».

Cette circonstance aggravante, créée par la loi du 27 janvier 2017, fait suite à l’avis de la CNCDH précédemment évoqué et, est donc conforme au principe d’égalité. Ainsi, l’article 132-77, qui a bien vocation à s’appliquer au meurtre, prévoit déjà une aggravation si le meurtre est commis à raison du sexe de la victime ! Il est donc purement et simplement inutile d’introduire la notion de féminicide dans notre législation, puisque le meurtre à caractère sexiste est déjà réprimé à l’heure actuelle.

Alors il sera opposé que, pour que l’aggravation soit retenue, le meurtre doit être « précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature » qui établissent le fait que la femme a été tuée parce qu’elle était une femme. Mais n’est-ce pas là un garde-fou essentiel pour effectivement prouver l’élément intentionnel de l’infraction ? En effet en l’espèce, c’est bien l’élément intentionnel, aggravé par la motivation sexiste de son auteur, qui justifierait la réclusion criminelle à perpétuité. Aussi, pour appliquer une peine aussi grave, faut-il prouver cette motivation sexiste !

Or si le législateur a cru bon de conditionner la réclusion criminelle à perpétuité à la preuve de la motivation sexiste derrière le meurtre, c’est bien parce que le féminicide n’est pas une réalité criminologique en France.

Les violences sexistes ont été récemment chiffrées par le Secrétariat d’Etat en charge de l’égalité entre les hommes et les femmes :

– En France, 1 femme meurt tous les 3 jours, tuée par son (ex)partenaire ;
– En France, 225 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur (ex)conjoint sur une année ;
– En France, 93 000 femmes sont victimes de viols et/ou de tentatives de viols chaque année. 9 victimes sur 10 connaissent leur agresseur.

Afin de mieux comprendre la réalité criminologique de la France, attardons nous aux définitions fournies par l’OMS :

– « le féminicide « intime » : il est commis par le conjoint, actuel ou ancien de la victime ;
– les crimes « d’honneur » : lorsqu’une femme accusée d’avoir transgressé des lois morales ou des traditions (commettre un adultère, avoir des relations sexuelles ou une grossesse hors mariage, ou même avoir subi un viol) est tuée pour protéger la réputation de la famille ;
– le féminicide lié à la dot, en particulier en Inde: lorsque des jeunes femmes sont tuées par leur belle-famille pour avoir apporté une somme d’argent insuffisante lors du mariage ;
– le féminicide non intime: il implique une agression sexuelle ou dans lequel les femmes sont explicitement visées. Les exemples les plus fréquemment cités sont les centaines de femmes tuées durant de nombreuses années à Ciudad Juarez, au Mexique, ou la tuerie antiféministe à l’Ecole polytechnique de Montréal en 1989 ».

S’agissant des « féminicides d’honneur », l’OMS les comptabilise surtout en Asie et au Moyen-Orient. En Amérique Latine en 2016, l’Observatoire de l’égalité des genres pour l’Amérique Latine et les Caraïbes comptabilisait plus de 1 800 féminicides, dont 466 au Honduras, 371 au Salvador, 254 en Argentine et 211 au Guatemala. Le féminicide est donc une réalité criminologique pour l’Amérique Latine (raison pour laquelle le Mexique, le Nicaragua, le Guatemala et le Salvador – pour ne citer qu’eux – l’incriminent en tant que tel), pas pour la France.

En revanche, l’OMS estime que les féminicides intimes se retrouvent dans le cadre de violences conjugales. Ce terme n’est donc pas adapté dans ce contexte puisque, nous en revenons à ce qui a été dit à titre liminaire, dans ces cas très spécifiques, les femmes ne sont pas tuées parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles sont l’objet d’une relation d’emprise et de domination de leur conjoint(e). A priori, l’auteur de violences conjugales ne poursuit pas de motivation sexiste lorsqu’il assène des coups à sa partenaire. C’est l’objet de la distinction opérée par la psychiatre et médecin légiste Alexia Delbreil dans un article récent du Monde : « Plus de 80 % des victimes de meurtres conjugaux sont des femmes, mais un meurtre dans la cellule familiale est particulier. La famille est un milieu clos, avec sa propre dynamique intime qui crée diverses motivations à l’origine d’un passage à l’acte violent. Cette dynamique intime n’intervient pas dans tous les féminicides. L’homicide conjugal est une entité particulière ».

Pour résumer, s’il n’y a aucun intérêt à introduire la notion de féminicide dans le droit pénal français, c’est parce que non seulement les meurtres aggravés par un mobile sexiste sont déjà incriminés et punis de réclusion criminelle à perpétuité ; mais en outre parce que le féminicide ne touche pas – encore – la  France.
L’intérêt du féminicide est donc nul.

Peut-être faudrait-il, avant de s’extasier sur de nouvelles notions, comprendre et lutter contre un réel problème : celui des violences conjugales.

Par Samantha Moravy.

2 réflexions au sujet de « Le féminicide, une incrimination ni nécessaire, ni souhaitable »

  1. En écho à votre article sur les violences sur les femmes, une contribution artistique : plasticienne engagée, j’ai réalisé une oeuvre intitulée « Vera Icona » sur les crimes d’honneur.
    A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/vera-icona_5.html
    Mais aussi une oeuvre plus pudique intitulée « Noli me tangere » sur l’inviolabilité du corps de la femme : https://1011-art.blogspot.fr/p/noli-me-tangere.html
    Ces séries furent exposées dans un centre de planification familiale avec une soirée conférence/débat. Quand l’art permet de parler directement des actes graves et d’ouvrir le débat.

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